Voici un roman qui se joue des codes. Littérature suédoise, nature writing, pas vraiment un polar mais un
vrai roman noir, une plongée dans l’obscur avec parfois un rai de lumière salutaire. En 1893, Unni, une
jeune Norvégienne qui pratique l’avortement, fuit précipitamment son pays avec son compagnon et son
jeune enfant pour échapper au sort terrifiant que l’on réserve aux faiseuses d’anges. Après un harassant
périple, la famille trouve refuge dans une masure au cœur d’une forêt dense d’une province reculée
suédoise. Presque un siècle plus tard, en 1973, dans cette même forêt et cette même cabane, agrandie
et rénovée, deux femmes se jaugent. Un homme, Roar, vient de mourir. La plus âgée est sa femme, la
plus jeune, sa belle-fille et maîtresse. Passé, présent. Les chapitres alternent et l’on comprend vite que
Roar est la clé de voûte d'une sombre histoire débutée en 1893. Ce drame familial où la vérité crue
n'apparaîtra qu'à la toute fin est à la fois une peinture sociale de l'Europe du Nord rurale du siècle
dernier et un roman à suspense au cœur d'une forêt souveraine, immuable, se gardant bien de livrer ses
secrets. Addictif.
Paru dans Le Bruit qui court

On se laisse facilement emporter par les paroles de Fatima et cette longue histoire qu’elle conte à sa mère et ses sœurs lors de son retour dans son Maroc natal. Elle relate son dur exil en Espagne pour retrouver un mari indélicat et en alternance déroule son enfance, sa vie de jeune fille et de femme dans un pays corseté par les règles patriarcales. De beaux portraits de femmes fortes, déterminées, de mères aimantes et lumineuses.

Vibrante narratrice de ce roman confondant, Eva, jeune hongroise de 13 ans, raconte comment une banale sortie dominicale s’est transformée en horreur absolue, a tué son père, brisé sa mère et marqué à jamais sa vie et celle de son frère. Alternativement, elle déroule le fil de cette journée honnie dont on ne peut dévoiler la teneur, révélation finale oblige, et celui de sa vie d’après. La natation, son appartenance à un groupe néo-nazi et l’amour de son grand-père, acteur de la révolution de 1956 et fervent soutien d’Orban en 1988, constituent ses seuls refuges. Tiré d’un fait divers glaçant qui secoua la Hongrie en 2006, Le Cri de la cigogne, parfaitement maîtrisé, tant dans sa construction que dans son intrigue, dresse le portrait saisissant d’un pays qui dérive incontestablement vers le nationalisme et livre un roman puissant tout en nuances, où les gentils et les méchants se confondent souvent, aveuglés par la peur, la haine et l’incompréhension.

L'histoire d'un enfant androgyne née à Marrakech dans les années 70, abandonné par sa mère, élevé par des grands-parents qui se vouent une haine farouche et qui tentent de lui inculquer leur culture respective : Musulmane et Berbère axée tout entière sur la religion pour l'une, athée; française et littéraire pour l'autre. Une réflexion bouleversante sur un double problème d'identité, culturel et sexuel, et sur le poids de la religion.
Un texte à part.

Azouz l’a rêvé : la maison de ses défunts parents à Sétif en Algérie prend l’eau. Il doit y retourner. Son frère aîné Samy, malgré sa réticence à quitter la France, accepte de l’accompagner dans ce retour aux sources. Et pendant que l’un peste contre ce pays qu’il ne reconnaît plus et cette maison qui tombe en ruines, menacée par les racines d’un arbre, l’autre prend part au soulèvement démocratique qui ébranle l’Algérie et reconquiert le cœur de celle qu’il a quittée des années auparavant, cette femme fascinante hantée par le massacre de ses parents durant la guerre civile. Mais, dans ce pays sublimé par des années d’absence, Azouz et Samy comprennent qu’ils sont ici aussi des étrangers. Entre l’arbre ou la maison il faut choisir : abattre l’un, démolir l’autre. Peuvent-ils eux aussi sacrifier une identité à une autre, ces binationaux à peine tolérés des deux côtés de la Méditerranée ? Un roman entre rire et larmes, empli de tendresse et d’intelligence.

In "Page des libraires" - Septembre 2021