Des Sirènes
EAN13
9782889070015
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE FRANCAIS
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Des Sirènes

Zoé

Domaine Francais

Indisponible

Autre version disponible

Pour Vue mer (Zoé 2020), je vous disais qu’avec Colombe Boncenne l'ironie
féroce est en fait une mélancolie pudique. C’était aussi vrai pour son premier
roman Comme neige (Buchet/Chastel). Avec Des Sirènes, le ton change. Il est
plus grave. L’auteure s’engage dans un nouveau territoire, plus risqué et plus
personnel, elle opte pour la sincérité. Elle n’est plus l’intelligente qui
s’excuse de l’être en faisant rire la galerie (comme Alice Zeniter, Leila
Slimani, toutes ces femmes belles, instruites, féministes et quadragénaires).
Ici, Colombe assume qui elle est, elle assume sa mélancolie, elle assume une
sorte de devoir de témoigner. Pendant deux ans, la narratrice accompagne sa
mère gravement malade. Parce qu’elle apprend des choses passées sous silence
dans sa famille depuis plusieurs générations, la narratrice, solide mais bien
sûr vacillante, se met à enquêter. C’est une histoire familiale avec des
marins, et des épouses qui attendent. Des épouses qui ne savent pas faire
autrement que de se laisser faire et se taire sur les viols qu’elles
subissent. Les traces des abus sont bien là, sont-elles culturelles ou quasi
génétiques ? se demande la narratrice avec vertige, ayant subi elle-même des
attouchements violents. Elle cherche à s’imaginer les ramifications
souterraines de ces abus, leurs enlacements tortueux, cachés, secrets. Le
roman raconte sur deux ans une femme en mouvement qui fait une enquête aussi
bien auprès des femmes de sa famille qu’une fouille intérieure : les
révélations de sa mère provoquent des questions qui la transforment. Elle est
très attirée par la forme de sororité que son amie Selma lui propose, mais ne
veut pas non plus se laisser enfermer dans un groupe. Elle a une forme de
liberté, de quant à soi, grâce aussi à toute cette révolution intérieure. Le
livre est le parcours, dans la vie de tous les jours, d’une femme normale, qui
travaille, aime, sort, retrouve sa sauvage marraine. Et qui soutient sa mère
d’une manière bouleversante – sans mentir, certains passages à l’hôpital sont
aussi forts, voire plus, que ceux de Lançon dans Le Lambeau. Grâce à Selma et
aux autres femmes qui l’entourent, la narratrice, malgré ses hésitations, est
soutenue et apprend une forme de sororité, la résistance des sirènes.
Discrètement magique. Scène de la vie ordinaire entre mère et fille en période
de maladie : À la fin du premier mois de traitement, ma mère a quitté
l’hôpital et a emménagé chez moi. Le deuxième soir, je rentrais d’un rendez-
vous et je l’ai retrouvée attablée à la cuisine. Des paquets cartonnés de
divers formats débordaient d’un sac en plastique blanc et vert. Certains
paquets étaient éventrés et laissaient dépasser des plaquettes de médicaments
en aluminium. Au milieu de la table, des pilules sorties de leurs emballages
se mélangeaient les unes aux autres, blanches ou colorées. Ma mère se tenait
la tête entre les mains, elle ne m’a pas entendue arriver derrière elle. Je
lui ai touché l’épaule doucement, elle a relevé la tête, dévoilé un pilulier à
cases et m’a regardée interdite. Ma mère n’était pas une femme précise.
Toujours, elle arrangeait la réalité autour d’elle pour la faire coïncider à
son étourderie légendaire. Et sortir avec deux chaussures différentes lui
arrivait régulièrement. Cela ne la dérangeait pas, elle riait et nous riions
de sa distraction. En l’occurrence, je n’avais pas l’esprit à rire. J’ai pris
les choses en main et entrepris de déchiffrer les trois pages d’ordonnance.
Les dosages journaliers n’étaient pas les mêmes à trois jours d’intervalle et
certains médicaments ne se prenaient qu’un jour ou deux par semaine, c’était
un véritable casse-tête. J’ai repris les indications ligne à ligne. Au bout
d’une demi-heure, je pestais contre la pharmacie qui avait dû se tromper. J’ai
vidé le pilulier une nouvelle fois sur la table, trié les cachets étalés sur
la table, drôle de mise pour le poker. J’ai tenté de reconstituer tous les
paquets. J’ai récupéré les plaquettes vides, ai rempli une à une les opercules
éclatées, assemblé des bouts de pilules rompues tant bien que mal. Jusqu’à ce
que je m’aperçoive que deux remèdes différents se présentaient sous la même
forme, un cachet blanc oblongue fendu d’un trait en son milieu. L’humour
consolateur, Farrell est l’amoureux de la narratrice, il vit sur une île comme
sa mère mais de l’autre côté de l’océan: Je recevais beaucoup de messages de
mes proches et de ceux de ma mère, qui s’inquiétaient. J’avais remarqué, et
raconté à Farell, que la plupart de ces messages obéissaient à une même
construction. On me donnait quelques nouvelles, on me demandait comment je me
portais et immanquablement, comment se portait ma mère, dans une formule
récurrente : Et toi, comment vas-tu, et surtout ta mère ? Farell et moi avions
plaisanté et imaginé plein de dialogues dont les phrases se termineraient par
Et surtout ta mère. C’était bon de rire. Farell avait écrit le scénario d’un
film qui venait d’être sélectionné pour un festival de début d’été en France.
C’était une excellente nouvelle. Un voyage s’organisait, il en serait
certainement. Quand sa venue a été confirmée, il m’a écrit qu’il avait hâte de
me voir. Un autre message a suivi presque instantanément : Et surtout ta mère.
Sa mère lui apprend incidemment, furtivement qu’elle a subi des attouchements
de son père. La narratrice cherche à en savoir plus. Elles sont en train de
jouer au scrabble dans la chambre d’hôpital: Pourquoi tu ne m’as rien dit
avant ? ai-je osé lui demander une fois en fixant les lettres posées sur mon
support en bois, GTDUIBN. Ma mère a répondu sans surprise, elle savait ce à
quoi je faisais référence. Elle m’a expliqué avoir entendu à la radio un
documentaire sur les secrets de famille, le poids qu’ils pouvaient représenter
pour les générations futures, elle avait entendu des témoignages de personnes
qui, sans être les victimes, développaient des troubles spécifiques à ces…,
elle aurait dû dire traumatismes, mais elle non, des troubles spécifiques à
ces événements. La narratrice vient de raconter pour la première fois des abus
subis à une amie de fraîche date : Ça ne te met pas en colère ? Je ne voyais
pas très bien ce qu’elle voulait dire. Je me sentais essorée par ce que je
venais de raconter et terrifiée par le fait que cela me terrifiait encore.
J’avais peur oui, mais rien à voir avec la colère. Tu devrais être furieuse.
Contre qui ? Contre eux. Tes agresseurs et les autres. Je me rendais compte
que je n’avais jamais vraiment pensé en ces termes. Je me suis détestée, je
m’en suis voulu et ces hommes, je les ai craints. De tout cela, j’ai eu honte.
Colombe Boncenne travaille dans les métiers du livre depuis dix ans. Elle
programme pour Paris en toutes lettres, la Maison de la poésie, les
Correspondances de Manosque et accompagne les étudiants en création littéraire
à l’Université de Lille. Par ailleurs, elle performe régulièrement avec
Philippe Artières. Elle connait bien les libraires puisqu’elle a travaillé
pendant cinq ans dans le bureau Virginie Migeotte.
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