1, Harlem

Mikaël

Dargaud

  • Conseillé par (Libraire)
    21 février 2022

    Le New-York des années 30 : passionnant

    On ne s’en lasse pas. Mikael aime flâner dans le New-York des années trente. A ras du trottoir, à hauteur d’enfant mais avec un regard d’adulte, de photographe. On voit mieux les choses en contre plongée, on voit mieux et on est moins vu. Après les constructeurs de buildings, les cireurs de chaussures, le dessinateur franco-québecquois nous emmène cette fois-ci dans la communauté afro-américaine de Harlem où sévit la guerre des gangs. A la suite du Krach du jeudi 24 octobre 1929, appelé jeudi « noir » au grand dam de la population de couleur, la misère est le lot quotidien de nombreux habitants du quartier. De l’espoir il faut en trouver coûte que coûte et une femme martiniquaise fascinante va leur en donner en organisant une loterie clandestine à l’échelle de la ville. Trois numéros et le gros lot peut vous rapporter des dizaines de milliers de dollars. Les bons chiffres sont imprimés chaque jour par les journaux aux pages de la Bourse. Ce sont les trois derniers numéros du nombre d’actions échangées ce jour là. Simple et terriblement efficace, tellement efficace que le succès bouleverse les plans de la maffia blanche installée avec l’aide de la police et du maire.

    Quennie, la patronne de cette loterie du Nombre, s’appelle en fait Stéphanie St Clair. Elle est décalée par rapport à une époque dominée par les hommes blancs habitués à utiliser la mitraillette Thompson et où les noirs et les femmes doivent surtout servir ou faire le spectacle. Elle détonne et le dessin de Mikaël la montre toujours en mouvement, explosive, colérique, influente, exigeante et intransigeante. Elle fait peur, en impose même au Hollandais, ce Dutch Schultz à qui elle va mener une guerre sans merci. En amour comme en affaires c’est elle qui prend les choses en main et gardent l‘initiative.
    Comme dans Giant ou Bootblack, Mikaël n’a pas son pareil pour raconter le quotidien de ceux qui ne font pas la une des journaux, sauf lorsqu’ils meurent ou sont emprisonnés. On se balade dans la 111 ème rue, on fréquente les tripots et on danse dans le Cotton Club au rythme endiablé du jazz dont on croit entendre les sons mélodieux et où les Blancs viennent s’encanailler à la recherche de plaisirs érotiques.

    Encore plus politique, la Bd s’engage résolument auprès des Noirs et le texte occupe une place importante reprenant des propos des leaders perchés sur des caisses à savons pour haranguer la foule ou des textes publiés de Quennie, dressant la situation d’abandon de la population de couleurs. « Fini de jouer les bons petits oncles Tom » déclare ainsi un personnage.

    Fidèle à sa technique d’allers et retours dans le passé, il faut l’évocation de la jeunesse et de l’arrivée à New-York de la future Quennie pour que le dessin monochrome d’un bleu pâle glacial prenne des allures plus oniriques quand des taches et traits jaunes flambent comme le feu qui détruit la maison du propriétaire martiniquais, jaune aussi comme la robe qui distingue Stéphanie à son arrivée à Ellis Island, plus que sa couleur de peau.

    Mikaël raconte que lors de ses repérages photographiques sur place, il put, par le plus grand des hasards, rentrer dans l’immeuble où avait vécu Quennie, au 409 Edgecombe Avenue, heureux de mettre ses pas dans ceux de Stéphanie St Clair. Avec cet album, il nous emmène avec lui et nous fait partager ses émotions. Resté silencieux, par l’entrebâillement de la porte, nous avons tout vu et attendons la suite avec impatience.