Après l'enfance

Julie Douard

P.O.L.

  • Conseillé par
    28 octobre 2010

    Un livre qui sent la frite...et le vitriol !

    Ce n'est pas parce que le narrateur a un frère reconverti dans la baraque à frites que le roman de Julie Douard a la gentillesse bonasse de "Bienvenue chez les Ch'ti". L'auteur trempe sa plume dans le vitriol pas dans la végétaline !

    Le personnage principal, que nous suivons de sa naissance à ses seize ans, se traîne une famille calamiteuse : un père falot, une mère dépressive, une soeur Philomène violente et caractérielle et un frère Georges aussi mou moralement que physiquement. Il sort du lot, l'explication est peut-être dans le fait que son véritable géniteur soit l'ancien patron de sa mère. L'auteur nous présente ce "background" avec un détachement presque clinique, qui finit par perturber le lecteur. Les personnages sont épinglés comme des papillons sur le tableau de chasse d'un entomologiste, observés avec beaucoup d'attention mais peu d'empathie. C'est un roman cruel et parfois totalement hilarant. Notre jeune héros subit au lycée les assauts d'un prof de théâtre qui souffre du retour d'âge et le portrait de cette nymphomane à l'imagination débridée est une merveille de vacherie. Autre portrait particulièrement remarquable, celui de l'amant de Philomène qui disjoncte complètement et dont la folie est assez jubilatoire.

    Au final, le héros s'en sort plutôt bien, petit Roméo au coeur tendre dans un univers pas folichon... Lire Julie Douard est revigorant, décapant... Son roman est un courant d'air glacé, une bise coupante qui réveille le lecteur un peu assommé par une rentrée littéraire très (trop) copieuse.



  • Conseillé par (Libraire)
    13 juillet 2010

    Difficile de ne pas être marqué(e) par les trois premières phrases du récit, tant l'auteur y frappe fort...

    " Si l'on s'était sérieusement demandé pourquoi ma mère avait cru bon d'honorer son patron en posant, ce jour-là, deux genoux à terre, il aurait fallu d'abord, pour éviter tout jugement inconsidéré, se rappeler que ma mère était une femme très scrupuleuse et à qui l'on avait appris que la hiérarchie est une chose à respecter, parce que de son maintien dépend un ordre salutaire à tous, même à celui qui, comme ma mère ce jour là, se trouve placé au plus bas. Certes, il aurait été bon aussi de mentionner l'évidence anatomique selon laquelle si ma mère était restée bouche bée, nuque en l'air et jambes à terre entre les cuisses de son patron, je n'en serais pas arrivé là. Il a bien fallu que ce grand homme, soucieux de magnanimité et d'équilibre, relevât d'un coup ma mère, lui permettant ainsi de le regarder droit dans les yeux, tandis qu'elle glissait inexorablement vers son vit et vers ma venue car , en effet, c'est ainsi que ce jour-là, son patron est devenue mon père"
    Entre ces deux "naissances", nous suivons le parcours initiatique et burlesque de ce jeune homme ( jamais nommé, "je") résolument optimiste, bousculé par les aléas de la vie au sein d'une famille "déglinguée" ( HLM, terrain vague, meule…), chaotique et parfois psychotique. Tous les personnages portent d'ailleurs les signes d'une re/naissance.
    Madeleine, la mère - jeune veuve - dépressive retrouve vie au contact de la faune d'une discothèque (CocoDisco) et par la grâce d'une co-locataire transsexuelle (Dominique). Le meilleur ami du "héros"(Léonard), adolescent en quête effrénée de sa première expérience sexuelle, tombe sans trop de scrupule dans les bras de Dominique.
    La jeune soeur scélérate (Philomène), experte en torture infantile, canalise ses pulsions dans une vocation de gardien de prison, qu'elle abandonnera par la grâce d'une maternité hors norme ( amoureuse de la femme (Fiona) de son ex-amant (Robert alias Bob) et père de l'enfant. Le frère "obèse" (Georges), mu par un puissant besoin de manger épouse Gisèle, une sexie marchande de frites, stérile, avec qu'il fera un enfant par mère porteuse interposée (Katia), laquelle jeune mère porteuse est l'initiatrice sexuelle du héros. Enfin une prof de théâtre d'âge mur, experte en jeux de l'amour (Violaine Tricot) accompagnera le jeune homme vers ses premières réelles extases physiques et lui permettra d'entreprendre efficacement la fille qu'il aime, une amie de lycée (Rose) un peu serrée par un père flic (homo) et pour qui il accomplira des prouesses.
    Au coeur de ce tourbillon (on imagine facilement ce texte porté à la scène) le jeune homme trop beau, trop intelligent (sorte de Caliméro) est l'observateur privilégié des événements qui le mèneront à la découverte de l'amour et à la béatitude.
    Au centre du roman, une pièce de théâtre. Partition d'une chorégraphie mêlant Marivaux, à Cassavetes, Ettore Scola à Martin Parr.
    La langue de l'enfant est étonnamment "adulte", travaillée écartant toute tentative de réalisme et produisant un contre-tempo extrêmement drôle et jouissif.
    "Peu lui importait que le récit fût légendaire, pourvu qu'il fût dit".