Pascale B.

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2 septembre 2024

Taïmoucha

De 1990 à 2018.
Ce récit s’ouvre sur un poignant monologue intérieur d’Aube, une jeune femme marquée à jamais par la guerre civile en Algérie. A l’âge de 5 ans, elle a été mutilée et rendue muette lors d’un conflit sanglant opposant extrémistes et militaires, qui dura une décennie. Elle s’adresse à son enfant, lui confiant le fardeau d’une écrasante culpabilité liée à la mort de sa sœur parmi le millier de cadavres laissés par cette guerre. Aube revit sans cesse cette scène tragique.
D’une intensité bouleversante, ces trois récits de victimes sur trois décennies, sont les témoignages déchirants des victimes, seuls vestiges de la violence qui a décimé des familles entières. C’est l’histoire de vies brisées luttant inlassablement pour continuer à vivre malgré des traumatismes indélébiles. C’est aussi le récit d’une condition féminine qui cherche désespérément à prendre la parole dans un monde qui les méprise.
Une ode poignante à ceux qui ont tout perdu, frôlé la mort avant de sombrer dans l’oubli, recouverts d’un voile de silence. Un hommage magnifique à l’amour inébranlable d’une fratrie.
L’écriture, poétique, précise et remarquable se mérite….
« Les égorgeurs sont repartis avant l’aube alors que l’on grelottait, mortes ou vives, ma sœur et moi, chacune les paupières fermées sur sa vie »

« Je me suis trompée des milliers de fois en revivant cette scène et en l’altérant sans m’en rendre compte. Car j’avais tué le temps en moi, son écoulement »

« Ma fille, je ne pleure pas…. J’ai fermé les yeux et depuis je suis aveugle à l’éclat du monde. »

« … Je suis son fleuve de vin, de lait et de miel ; son cheval de fatigue … sa peau transparente, sa chevelure rousse qui plonge dans le domaine des dieux. Rien n’atteint aussi profondément mon corps vivant. »

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2 septembre 2024

L’opacité d’une mère

A la suite de l’AVC subi par sa mère Ann, la vie de Julia Deck bascule vers l’accompagnement d’un être cher.
L’auteure retrace le parcours de sa famille maternelle, remontant jusqu’à l’Angleterre ouvrière des années 1930.
Le roman s’engage dans une quête de vérité pour comprendre ce qui a poussé Ann, jeune anglaise aventureuse, à quitter son pays pour s’installer en France ; traversant la guerre, la reconstruction, la Nouvelle Vague, la dolce vita, les swinging sixties, l’après mai 68…
Dépressive et agoraphobe, Julie revient sur la relation de ses parents et sur son propre lien ambivalent avec sa mère, avec en toile de fond le présent qui pointe du doigt les défaillances du système hospitalier. Elle laisse libre court à sa colère et sa révolte face au non-dits familiaux.
Une introspection personnelle et sincère, au style direct et sans concession, mais parfois alourdie par une densité narrative peu aérée.
« Rien, me répond-il, ne justifie de prolonger le séjour dans son service jusqu’à cette date. Je n’en crois pas mes yeux. C’est bien le même homme qui charme de face et matraque par écrit. »
« Je dois laisser l’opprobre glisser sur nous comme l’eau sur les plumes d’un canard, me faire entre dans le crâne une fois pour toutes que les mots n’ont pas de sens. »
« Ses parents logent en elle comme deux géants qui l’empêchent d’accéder à la vie… »
« Elles avaient jeté des sorts sur nos berceaux sans se préoccuper de la délivrance »

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28 août 2024

Un soir de noël figé

Dans son dernier roman, Carole Martinez, visionnaire et entreprenante, nous plonge dans un univers à la fois merveilleux et cruel, où son écriture envoutante et poétique sert de vecteur à un conte prophétique d’une audace impressionnante.
Eva, en fuite avec sa fille Lucie, se réfugie dans les marais, se coupant du monde. Cette liberté retrouvée au cœur de la nature la rapproche davantage d’une enfant qu’elle ne désirait pas mais qui est devenue son horizon, sa raison d’être. Elles rencontrent les oies, Serge et sa radio.
Soudain, les rêves de Lucie se propagent à tous les enfants du monde, déclenchant d’étranges phénomènes menaçant l’humanité. La radio incarne la voix du monde extérieur, incapable d’endiguer la catastrophe imminente.
L’auteure joue habilement avec les mythes, convoque des symboles et trouve un équilibre subtil entre dystopie onirique et thriller. La grâce de son écriture poétique enchante par sa magie et son imaginaire.
Les chapitres révélant les fantômes de Serge et ceux installant la violence sont particulièrement hypnotisant, la tension s’enroule autour du lecteur avec grâce et suspense.
Ce récit constitue une véritable alerte.

« J’héberge en mon sein un être silencieux et invisible qui se nourrit de moi, me pille, me dévaste, une inconnue que je suis sensée aimer avant même de la mettre au monde »
« Le rêve collectif n’avait rien d’intime, elle le partageait avec tous les enfants du monde. Je pouvais tenter d’y circuler sans culpabilité »
…. Les trois oies de Lucie sont envolées. Miria les a vues prendre leur envole entre mes jambes, il lui a semblé qu’elles s’échappaient de mon corps à tire-d’aile avec nos douleurs pour gagner le bleu crépusculaire de ce ciel de mai »

Isabelle Pandazopoulos

Actes Sud

22,50
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27 août 2024

Amy laustair

Londres
1946
Au chevet d’Anna Freud, la narratrice recueille les épisodes de la vie privée d’une jeune fille au sentiment d’infériorité qui aspirait à devenir une femme avec une activité sociale et une raison d’être.
Bafouée car grandissant différente des autres, éclipsée par l’influence paternelle et leur relation fusionnelle interdépendante, non reconnue car se détournant du plaisir conventionnel ; Anna finira par marquer les esprits par sa psychanalyse bienveillante des enfants.
La vie de cette famille captive autant que l’évolution d’une science qui se veut apolitique face au nazisme grandissant. Le thème de la psychanalyse, romancé à souhait, est rendu très accessible par l’écriture fluide et maitrisée de l’auteure.
Cette biographie parvient à donner de la lumière au portrait d’une femme qui aurait mérité de s’épanouir davantage.

« On m’avait embauchée pour n’être qu’un fantôme et c’était l’inverse qui se produisait. En jouant le rôle d’une autre, je me rapprochais de mon histoire »

« Chacune leur tour, les femmes de la nursery vinrent me livrer leur version de cette guerre qui avait épuisé Anna. »

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24 août 2024

Le marin le plus triste au monde défiant la mort

Virginia Tangvald explore l'héritage complexe laissé par son père, Peter Tangvald, un marin intrépide et insaisissable, en s’appuyant sur des témoignages, des courriers et divers documents.
A travers une enquête intime et douloureuse, elle reconstitue l'histoire tragique de sa famille, marquée par les nombreuses pertes en mer, tout en dressant le glaçant portrait d’un homme obsédé par la liberté au point de défier les lois de la terre, un personnage à la fois fascinant et destructeur.
Son frère Thomas, seul survivant, « ne s’est jamais libéré de la cabine dans laquelle il avait été enfermé toute son enfance. Que cette prison, il la portait partout » Une fratrie fragilisée et liée à jamais par la tragédie.
Ce texte puissant et bien écrit, empreint de douleur, est d’une grande sincérité, dépassant l'autobiographie pour offrir une réflexion profonde sur les liens familiaux et la quête d’identité.
Il s’agit d’une quête désespérée pour comprendre et exorciser les traumatismes de l’enfance et tenter d’en panser les cicatrices ; un glaçant portrait d’un homme défiant les lois de la terre.

« J’avais peur du néant que représentait mon apatridie. »
« ….Et je suis née, gluante, dans les mains de mon père, dans le creux de son rêve sur l’eau, là où il est impossible d’avoir des racines »
« A mesure que le temps passait, le rêve de ma mère fanait tandis que mon père s’enfermait dans son monde »
« Parfois, on est amené à payer les dettes du passé sans le savoir »