Comment on se marie, corps 24
Éditeur
NumiLog
Langue
français
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Comment on se marie, corps 24

NumiLog

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Au xviie siècle, l'amour, en France, est un seigneur empanaché, magnifiquement vêtu, qui s'avance dans les salons précédé d une musique grave. Il obéit à un cérémonial très compliqué, ne risque point un pas sans qu'il soit réglé à l'avance. D'ailleurs. il reste parfaitement noble, d'une tendresse réfléchie, d'une joie honnête.

Au xviiie siècle, l'amour est un garnement qui se débraille. Il aime comme il rit, pour le plaisir d'aimer et de rire, déjeunant d'une blonde, dînant d'une brune, traitant les femmes en bonnes déesses, dont les mains ouvertes distribuent le plaisir à tous leurs dévots. Une haleine de volupté passe sur la société entière, mène la ronde des bergères et des nymphes, des gorges décolletées frissonnantes sous les dentelles : époque adorable où la chair fut reine, grande jouissance dont le souffle lointain nous arrive tiède encore, avec l'odeur des chevelures dénouées.

Au xixe siècle, l'amour est un garçon rangé, correct comme un notaire, ayant des rentes sur l'État. Il va dans le monde ou vend quelque chose dans une boutique. La politique l'occupe, les affaires lui prennent sa journée de neuf heures du matin à six heures du soir. Quant à ses nuits, il les donne au vice pratique, à une maîtresse qu'il paie ou à une femme légitime qui le paie.

Ainsi donc, l'amour héroïque du xviie siècle, l'amour sensuel du xviiie, est devenu l'amour positif qu'on bâcle, comme un marché en Bourse.

J'entendais un industriel se plaindre dernièrement qu'on n'eût pas inventé encore une machine à faire les enfants. On fait bien des machines pour battre le blé, pour tisser la toile, pour remplacer les muscles humains par des rouages dans toutes les besognes. Le jour où une machine aimera pour eux, les grands travailleurs du siècle, ceux qui donnent chacune de leurs minutes à l'activité moderne, économiseront du temps, resteront plus âpres et plus virils dans la bataille de la vie. Depuis la formidable secousse de la Révolution, les hommes, en France, n'ont pas encore retrouvé le loisir de songer aux femmes. Sous Napoléon Ier, le canon empêchait les amants de s'entendre. Pendant la Restauration et pendant la Monarchie de Juillet, un besoin furieux de fortune s'est emparé de la société. Enfin, le règne de Napoléon III n'a fait que grossir les appétits d'argent, sans même apporter un vice original, une débauche nouvelle. Et il y a une autre cause, la science, la vapeur, l'électricité, toutes les découvertes de ces cinquante dernières années. Il faut voir l'homme moderne avec ses occupations multiples, vivant au-dehors, dévoré par la nécessité de conserver sa fortune et de l'accroître, l'intelligence prise par des problèmes toujours renaissants, la chair endormie par la fatigue de sa bataille quotidienne, devenu lui-même un pur engrenage dans la gigantesque machine sociale en plein labour. Il a des maîtresses ainsi qu'on a des chevaux, pour faire de l'exercice. S'il se marie. c'est que le mariage est devenu une opération comme une autre, et s'il a des enfants, c'est que sa femme l'a voulu.
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