L'Amour viendra, petite !

Jérôme Fansten

Flamant Noir

  • Conseillé par
    1 septembre 2014

    J'avais plein d'idées en tête pour parler du livre de Jérôme Fansten, tellement que je me demandais même comment je pourrais toutes les placer en un article de blog, j'avais noté plein de passages à citer, trop, jamais je n'aurais pu les mentionner tous. Et puis, en fin de volume, voilà que M. Jérôme Fansten fait lui-même le boulot : "C'est quoi, les "enquêtes de J." ? De l'auto-fiction ? Un hommage aux grands auteurs du Noir, Dashiel Hammett en tête ? Une manière de récupérer par la bande l'héritage surréaliste pour raconter des histoires d'amour ? Une parodie de polar ? Eh ben, c'est tout ça... C'est une autobiographie amoureuse, racontée avec le prétexte du hard boiled. A moins que ce soit un polar pur et dur, avec ce qu'il faut de baroque pour bien parler de l'amour et du désir sexuel." (p.293)
    Bon, alors me voilà au blog-chômage... mais je n'ai pas dit mon dernier mot, je m'en vais lui dire moi ce que je pense de son bouquin à J. Fansten, et tant pis si je lui pique des idées qui sont aussi les miennes puisqu'elles me sont venues bien avant la page 293. Non mais...

    L'amour viendra, petite ! est un hommage aux polars, truffé de références, de noms que je connais pour la plupart mais que je n'ai pas tous lus : les auteurs états-uniens dont Jim Thompson, R. Carver, J. Fante, J. Ellroy, les francophones avec en tête Simenon dont il fait d'ailleurs un personnage et JB Pouy, T. Jonquet, D. Daeninckx entre autres... Son J. est une espèce de Jack Taylor -le privé irlandais alcoolique de Ken Bruen- français. Toujours dans des sales coups, l'enquête est résolue c'est vrai, pas toujours grâce à lui, mais sa recherche est souvent autre, plus existentielle, d'ailleurs certaines femmes qu'il voit se nomment Entropie, Tristesse, Dépréciation, Confiance...
    On navigue avec bonheur dans ce roman qui fait référence également à Boris Vian pour le côté absurde (mais aussi peut-être pour Vernon Sullivan) et à Rimbaud et qui cite en pleine enquête du Roland Barthes (pas fréquent). C'est un bouquin extrêmement bien écrit, une écriture addictive, bourrée de trouvailles tant dans les descriptions parfois sommaires mais suffisantes : "Le Père suit mon regard et me présente La Bête. La Bête, putain. La Bête est son homme de main, son bras droit. La Bête est un sadique. C'est un homme, comment dire ? Immobile. Voilà, c'est ça : La Bête est "immobile"." (p.53) que dans l'humour qui flotte dans quasiment toutes les pages. Un humour noir. Désespéré. Désabusé. Il est rarement cause de luxation de la mâchoire, on sourit plus qu'on ne s'esclaffe. C'est l'ambiance, les personnages, les réparties, les triturations ou détournements d'expressions qui font mouche. J. Fansten manie les mots avec brio, les images, les métaphores, les inventions, les références en matière de comics, de jazz, de polars. Il mélange tout cela et en sort un texte brillant qui m'a ravi de la première à la dernière page. C'est un polar mais encore plus que cela, c'est le roman d'un homme qui se cherche et a du mal à se trouver. C'est aussi un bel exercice de style, absolument pas vain. Parce que Jérôme Fansten a un style personnel décapant. Addictif ai-je écrit plus haut. Je confirme, j'en reprendrai bien volontiers. Un conseil, si vous ne voulez pas succomber, ne lisez pas la première page mais si vous aimez découvrir et vous faire plaisir en lisant, lisez et "[tournez] la première page et, pour la suite, laissez-vous guider..." (l'éditeur, Flamant Noir, en 4ème de couverture, qui pour ma troisième rencontre avec lui fait fort, très fort !)