Nestor rend les armes

Clara Dupont-Monod

Sabine Wespieser Éditeur

  • Conseillé par
    12 septembre 2011

    Nestor est énorme, mais délicat. « Il ménageait son corps lourd. Il ne lui demandait jamais d’effort superflu. Peut-être l’aimait-il quand même, cette masse de plis et de rebonds. Avec elle, Nestor se montrait charitable. » (p. 12) Nestor est une masse qui gravite sans satellite. « Mon corps m’éloigne de vous et il me tient chaud. En un mot, il m’isole. C’est un ami et un tyran. Il n’essaie pas de se rendre aimable. » (p. 22 & 23) Ses journées sont rythmées par des repas grandioses aux allures de cérémonies et par des visites mécaniques à l’hôpital. Dans une chambre anonyme, il retrouve Mélina, inconsciente et bardée de machines. Nestor n’a nulle part d’autre où aller. « Son horizon était accroché au mur. C’était une grande photo sous cadre. » (p. 13) La solitude de Nestor s’enroule autour de la photo d’un phare rouge et blanc.


    Mais Nestor ne se bat pas. Il ne lutte pas contre la solitude. Il ne lutte pas contre la graisse qui l’envahit. Il ne lutte pas contre la disparition de son épouse. « Mélina meurt et je m’en fous. » (p. 24) Aveu d’impuissance, aveu de lassitude. Nestor rend les armes de la vie, de son couple et il se retire du monde. Incapable d’efforts infimes, il excelle dans un lâcher-prise extraordinaire. « Lui, c’était un homme d’excès. Un homme qui n’avait pas peur des outrances, prêt à vivre avec un corps et une mémoire démesurés. » (p. 81) Nestor voudrait fuir son passé, refouler les souvenirs et éteindre des douleurs incommensurables. Là encore il rend les armes et se laisse glisser vers le néant.
    Il y a des peines que l’on voudrait muettes. En n’ouvrant pas les cahiers de Mélina, en ne triant pas les affaire de toute une vie, Nestor espère maintenir le statut quo, ne pas réveiller une conscience qui tend vers l’abrutissement. Mais auprès d’Alice, Nestor se livre, se vide. L’issue ? Il y en a trois : désormais, c’est l’auteure qui refuse de rendre les armes et qui les tend au lecteur pour qu’il continue le combat. Nestor, nous en ferons ce que nous voudrons.
    Clara Dupont-Monod m’avait éblouie avec La passion selon Juette. Même effet avec son dernier roman. Nestor rend les armes est un hommage à la pudeur et à la délicatesse. La plume de l’auteure est faite d’un dénuement qui n’empêche pas une fabuleuse puissance d’évocation. On pourrait faire le tour de Nestor avec nos yeux, avec nos bras. On pourrait sentir son odeur grasse et fade. On pourrait lire dans ses yeux la douleur d’une bataille perdue. Nestor se dessine sur les pages, sa chair déborde des lignes et sa peine noie les mots. Mais son corps massif n’est pas écrasant : sa silhouette a l’allure d’une ombre chinoise, d’un dessin d’enfant. Un rien pourrait la souffler.
    Ce que nous lisons, ce n’est pas un portrait, c’est une élégie. Poétique et bouleversant jusqu’au sublime, ce court roman ne se dévore pas : il se lit avec pondération, dans le respect d’une peine qui ne peut se dire que par touches.


  • Conseillé par
    28 août 2011

    Une histoire qui se dévoile à petits pas feutrés. Un récit court mais qui pourtant demande une certaine lenteur pour pénétrer au cœur de la faille. Nestor rend les armes, le titre interroge. Un homme qui se calfeutre dans son obésité, se terre dans une solitude qui semble lui convenir. Seul horizon d'évasion, cette image illustrant un phare.

    Page 12 : Longtemps, il avait pensé que la solitude était un sentiment. Maintenant il l'apparentait aux branches nues des arbres ou au sang qui coule dans les veines. La solitude n'était pas une inclination du cœur mais un élément organique, inscrit dans les lois du monde. Nestor s'était résigné à cet ensemble de règles qui verdit les feuilles, dicte les rencontres, massacre les vies pour en épargner d'autres.

    Le récit se pose en douceur, malgré les sujets parfois blessants que l'auteur aborde. Tout semble amoindri par cette pudeur avec laquelle les personnages se dévoilent au fil des pages. Le début se porte sur l'obésité et ses travers, le regarde des autres, cette forme d'infirmité latente, non reconnue mais moquée. Puis vient le problème de la solitude, de cet homme qui a fui son pays, une plaie ouverte s'agrandissant avec l'accident de sa femme. Sur son lit d'hôpital, elle végète entre la vie et la mort. Nestor est seul avec sa souffrance, il lit les cahiers de Mélina. Acide vérité qui éclabousse la réalité du destin.

    Quotidiennement, il se rend au chevet de son épouse, comme dans une bulle, la routine semble le tenir debout. Dans cet univers où le regard ne se porte plus sur son obésité, il se sent comme un malade parmi les autres.

    Page 16-17 : Il arrivait à l'hôpital (...) ---- Sa démarche devenait plus souple. Son large dos s'accordait au décor. Personne ne le remarquait. C'était la fin du calvaire. Ici s'ouvrait le royaume des difformes, tandis qu'à l'extérieur palpitait la vie du matin. Certains traînaient une perfusion à roulettes. La plupart avançaient en somnambules. Nestor était chez lui. Il se sentait admis au sein d'une confrérie résignée à écouter seulement le bruit du dehors.

    Un médecin, s'intéresse à lui, et le prendre sous son aile simplement et naturellement. Une nouvelle histoire commence. L'être n'est plus une enveloppe charnelle, mais un homme avec son passé, ses souffrances, mais aussi ses qualités, sa sensibilité, ses cauchemars. Comment dissiper cette brume opaque qui s'abat sur son avenir ?

    Page 25 : Que pouvait-il lui arriver encore ? Quel châtiment le sort lui réserverait ? En réalité, Nestor dégringolait avec la majesté d'un oiseau suicidaire. Il se laissait glisser, conscient qu'à n'avoir aucune raison de vivre, on n'en a pas non plus pour mourir.

    Page 60 : Elle saisit Nestor par l'épaule et l'obligea à s'étendre. Il n'opposa aucune résistance quand elle déboutonna sa chemise. Il se laissa toucher, tellement honteux que même la honte lui était égale. Sa chair débordait du pantalon, s'amassait sous les bras, faisait des bourrelets dans son cou. Mais elle cédait sous des gestes précis. Nestor n'était plus gros, ni déraciné, ni vieux. Il était un ensemble de connexions nerveuses et sanguines. Les médecins traitaient des corps en plainte. Ils se fichaient de leur fortune, de leur déboires ou de leur rang.

    Page 72 : "Pourquoi tu t'intéresses autant, à ce gros père ?" avait souri un confrère en se lavant les mains. Alice avait haussé les épaules. Il aurait fallu expliquer qu'à certains moments, une personne valide peut porter en elle l'infirmité de son conjoint. Alors, les soins prodigués à celui qui reste sont ceux qu'on donnerait à sa moitié alitée. Mais elle ne dit rien, et le confrère lui lança un clin d'œil.

    Une plume élégante, tout en finesse nous transportant dans ce récit non en voyeur mais en ami ne pouvant hélas rien changer aux faits. On découvre Nestor et son refuge dans l'obésité, Mélina est cet enfant perdu, Maria l'amie restée au pays, ce médecin sans doute qui se dissimule également derrière sa blouse mais réellement, n'est-elle pas aussi une personne en quête d'un renouveau ?

    Un très beau récit, conté de façon originale, nous sommes, lecteur comme dans un paysage de brume, l'histoire nous est révélée, en douceur par la découverte de Nestor et de sa vraie valeur humaine.

    Page 94 : Le cœur d'Alice tressautait. Elle regardait ces dos larges, aux épaules rondes. Ces démarches d'animaux lourds frayant parmi les chevreuils. Ces toupies trop lentes que l'on heurte du pied. Alors elle sentait un chagrin immense déferler en elle. C'était la peine des combats perdus, c'était la mort des mères et de leurs élans.

    L'auteur offre trois issues à cette histoire, comme trois chances à donner à Nestor, je ne pourrais dire laquelle des trois est la mieux, je choisis les trois et laisse se dessiner trois fins inédites.


  • Conseillé par
    25 août 2011

    Nestor est obèse. Enveloppé dans sa carapace de chair, il se protège du monde. Dans son cercle magique créé par sa silhouette, il veut que rien ou personne ne puisse le faire encore souffrir.
    Je le dis d’emblée, ce livre est un gros coup de cœur ! L’écriture de Clara Dupont-Monod concise, empreinte de poésie, d’une finesse rare et intense m’a conquise ! Non, ce n’est pas une distribution de bons points mais ce livre est un petit bijou ! Le corps de Nestor a commencé à grossir et à enfler car Nestor mange pour oublier sa souffrance. Son corps est une armure, une barrière visible qui le sépare du monde. La solitude est sa seule amie, sa femme se meurt sur un lit d’hôpital emmurée dans le silence du coma. L’histoire de Nestor nous est dévoilée, son exil d’argentine et le drame avant l’accident. Une vie en forme de long ruban tâché de trop de malheurs. Mais il arrive qu'une main se tende...Je ne veux pas en dire de trop sur ce livre pour que chacun puisse l’apprécier comme il se doit. Et à sa juste valeur.

    J’ai ressenti de l’empathie et non de la compassion pour Nestor. D’ailleurs, Clara Dupont-Monod évite cet écueil. Alchimie magique des mots quand ils sont bien utilisés et qui amènent à la symbiose le texte et le lecteur. Un coup de cœur et j’y ai tellement inséré de marque-pages qu’il s’agit d’un livre hérisson parsemé du bonheur de l’écriture et d’émotions !