L'empire des lumières / roman, roman

Young-Ha Kim

Philippe Picquier

  • Conseillé par
    3 mai 2017

    ''Au fond de la jarre
    sous la lune d'été
    une pieuvre rêve.''
    Un haïku de Bashô, simple en apparence, et pourtant, il va bouleverser la vie de Kim Kiyeong. Ce quadra, marié et père de famille, mène à Séoul une vie sans histoires, occupé à gérer sa petite entreprise d'importation de films étrangers. Mais pour lui, ce haïku, reçu dans sa boîte mail, est un choc car il recèle un sens caché. Oui, pour Kim Kiyeong, espion nord-coréen installé au Sud depuis plus de 20 ans, ce haïku correspond à l'ordre n°4 : ''Abandonne tout et rentre immédiatement. Cet ordre est irrévocable.'' Après 10 ans sans nouvelles, le coup est rude. Il a 24 heures pour faire un choix : rentrer au Nord sans savoir pourquoi on le rappelle, rester à Séoul au risque d'être éliminé par Pyongyang, s'enfuir à l'étranger et essayer de se faire oublier. Les questions tournent dans sa tête et, avec elles, l'angoisse du faux pas, de la mauvaise décision et le retour de ses réflexes d'espion.

    En plus d'être un roman d'espionnage avec sa dose de filatures, de messages codés, d'angoisse, de paranoïa, L'empire des lumières est surtout une réflexion sur la vie, celle qu'on mène et celle dont on rêvait, les idéaux pour lesquels on se bat et, bien sûr, un portrait des deux Corée, la complexité de ce qui les unit, leurs différences et leurs ressemblances. Au travers de cette journée particulière dans la vie d'un homme à cheval sur le 38è parallèle, Young-ha Kim raconte la dureté du régime des Kim au Nord mais aussi les profondes mutations du Sud qui ont conduit le pays de la misère et la dictature à la modernité et au capitalisme le plus débridé. Infiltré dans les milieux contestataires étudiants des années 80, l'espion découvre l'adhésion d'une partie de la jeunesse à l'idéologie du Juche d'une société sans classes et auto-suffisante en vigueur au Nord. Une raison de plus de penser qu'il est dans le vrai et qu'il agit pour le bien du Nord et du Sud. Le sentiment patriotique qui l'anime et qu'il retrouve d'ailleurs à Séoul s'en trouve renforcé. Mais au fil des ans, oublié de Pyongyang, il a évolué e même temps que la société coréenne. Il s'est implanté dans son nouveau pays, a profité du confort, de l'opulence, de la liberté. Tout n'est pas rose évidemment, l'argent a pris le pas sur d'autres valeurs plus essentielles. Dans son couple, il n'y a plus d'amour. Sa femme le trompe et oublie dans le sexe qu'elle n'aime pas sa vie. Sa fille, adolescente, vit ses propres expériences et prend son autonomie. Dans ces conditions, rentrer au pays pourrait être le bon choix s'il n'y avait le doute sur ce que lui réserve les services secrets. A-t-il commis une faute sans le savoir ? Va-t-il être exécuté ? Où est son devoir ? Au Nord pour le bien de la patrie comme il a été conditionné à le croire ? Au Sud en se préoccupant de son seul bien-être comme le Sud le lui a enseigné ?
    Une journée racontée heure par heure sur un rythme haletant, un homme pris entre deux feux, une histoire passionnante qui va bien au-delà du simple roman d'espionnage. L'auteur se garde bien de porter un jugement sur les deux pays ennemis, préférant axer sa réflexion sur la méconnaissance mutuelle de ces deux états qui se côtoient sans communiquer. Une lecture captivante.