Une sultane marocaine

**Extrait**

Les mauvais petits canons de bronze de la kasbah jadis construite a El-Ksar
par le sultan Yacoub-el-Mansour viennent de tirer dix coups afin de celebrer
la fin du ramadan, le careme musulman.

- Capitaine Villier, me crie-t-on de la blanche venelle arabe ! Allons feter le Bairam avec les Marocains.

Je me penche sur le parapet de ma maison et j'aperçois, la tete levee vers ma
terrasse, mon ami William Head, le negociant anglais. Je dois lui repondre que
ma correspondance pressee m'empechera de l'accompagner. Le courrier pour
Tanger ne part-il pas dans la soiree ?

- C'est tant pis pour moi, repartit William, et il s'eloigne en faisant sonner ses grosses chaussures sur le cailloutis de la chaussee.

Je reste seul devant la petite table chargee d'enveloppes et de papiers. De ma
haute toiture, j'aperçois les minarets sveltes qui depassent les El-Ksar. La
mosquee au dome argente de Moulay-Ali-Ghaleb est entouree de palmiers qui
jaillissent comme de grands jets d'eau de leurs patios. La ville, construite
de briques de la nuance du safran et enjolivee de ceramiques, s'allonge parmi
les jardins. Plus loin, c'est la campagne orangee ou verte avec ses champs de
soucis, de mauves et de chardons.

Au lieu d'ecrire, je reste a rever. Comme je l'aime, ce Maroc, cette terre de
poesie orientale ! Je m'y sens heureux. La joie de vivre m'emplit le coeur
dans ces cites lumineuses peuplees de belles statues humaines. Afin d'etre
libre de parcourir a ma fantaisie le Mogreb, je viens de prendre une grave
determination : je veux donner ma demission de capitaine aux tirailleurs. Il
me faut repondre, aujourd'hui meme, a la lettre cordiale de mon colonel. Ma
decision est irrevocable. Comme explorateur, je rendrai des services a la
France tout autant que si je demeurais officier. Voila ce que je dois faire
comprendre a mes chefs.