Une révolution dans la pensée

Une révolution dans la pensée, le nouvel essai de Jean François Billeter,
parachève la série de ceux qu'il a publiés aux éditions Allia depuis quelques
années. Il comporte trois parties : “I. Un nouveau paradigme”, “II. Pascal et
la connaissance du sujet”, “III. La suite de l'histoire”. En voici le début :
“Depuis des décennies, je lis les auteurs qui décrivent la catastrophe en
cours et concluent invariablement que, pour qu’elle ne nous emporte pas, il
nous faudrait un projet de société, disent les uns, ou de civilisation, disent
les autres, mais aucun ne dit ce que ce projet pourrait être. Il ne suffit pas
que nous sachions ce dont nous ne voulons pas, me suis-je souvent dit ; il
faut que nous sachions ce que nous voulons. J’y ai beaucoup réfléchi et je
suis parvenu au raisonnement suivant. Ce doit être un projet portant sur le
tout et compris de tous parce qu’il sera fondé sur des évidences que chacun
admettra. Il n’a pas été conçu jusqu’à présent parce qu’on n’a pas aperçu ces
évidences. On en a été empêché par les traditions intellectuelles,
philosophiques et religieuses dont nous avons hérité. Pour apercevoir ces
évidences et partir d’elles, il faut donc que se produise une révolution dans
la pensée. Cette révolution commence quand nous nous avisons de considérer en
lui-même le phénomène le plus commun qui soit pour nous, et en même temps le
plus extraordinaire : le sujet, celui qui dit “je” et que nous sommes tous,
chacun pour soi, en-deçà de tout ce qui nous distingue les uns des autres
individuellement, socialement ou historiquement. De ce phénomène humain par
excellence, on ne s’est jamais fait une idée juste parce qu’on a cru, soit
qu’il pouvait se comprendre lui-même de façon évidente et immédiate, soit
qu’il était au contraire quelque chose d’insaisissable. Pour nous en faire une
idée juste, il nous faut poser qu’il est parfaitement connaissable mais qu’en
dépit de ce que nous imaginons, nous ne pouvons pas le connaître directement.
Nous ne pouvons le connaître que par une observation soutenue dans la durée,
conduite avec méthode, et par un effort de réflexion sur ce que nous
observons.” Après avoir été professeur d'études chinoises à Genève, Jean
François Billeter a quitté l'Université pour se consacrer à ses propres
travaux. Dans ses études sur certains textes remarquables de Tchouang-tseu,
philosophe du IIIe siècle avant notre ère, et sur l'art chinois de l'écriture,
autrement dit la calligraphie, il allie la plus grande rigueur sinologique au
souci constant de se faire comprendre des lecteurs non sinologues. Il y
parvient à la fois par la clarté de l'expression et par la richesse des
références à des éléments de l'héritage occidental, ou simplement à
l'expérience commune.