T'es pas d'ici

\- Pourquoi suis-je la seule femme dans cette famille à ne pas pouvoir sortir
seule ou travailler ?
La réponse tombe comme un couperet.
\- Elles sont nées ici et pas toi. T’es pas d’ici.
La méfiance se justifie donc à leurs yeux tandis que l’incompréhension grandit
en moi. Pourquoi n’ont-ils pas confiance en moi ? Qu’ai-je de si différent des
femmes de ce pays ? J’ai l’impression de vivre un cauchemar. Enfermement,
humiliation, sont désormais mes compagnes de vie. Je comprends petit à petit
que cet enfermement dont je suis victime est dû davantage à cette famille
qu’aux mœurs de ce pays. On me signifie que la culture sociale contraint les
femmes à être dociles et soumises. Malgré ma jeunesse et un caractère affirmé,
je sens une partie de mon être se fissurer dans cet enfer quotidien. Je
souffre et je deviens bancale intérieurement. La tristesse remplit mes
journées et lentement mon cœur se vide de sa joie de vivre.
Affirmer « t’es pas d’ici » pour justifier toutes les calomnies. La culture
traditionnelle comme argument, la folie en réponse au chaos conjugal. La
justice au service de l’injustice. Le choc des cultures. Et l’espoir comme un
souffle vital pour conjurer la mort. La rage de vivre pour sauver les siens.
Le désir viscéral de ne pas se perdre et survivre à l’indicible. Un chemin
chaotique qui fait naître des instincts de survie faisant surgir l’énergie
fondamentale de notre être. Retenant la fureur face à l’arbitraire et aux
préjudices juste pour se préserver et fuir dans la clandestinité. Mais
jusqu’où mes forces me tiendront ? Jusqu’où l’indicible envahira ma vie ?